jeudi 10 juin 2021

Les horaires atypiques

 Par Raynald Marlin

Pour ne pas perdre sa vie à la gagner


Aujourd’hui, 44 % de la population est concernée par les horaires atypiques soit 11 millions de salariés en France. Des horaires habituels sont situés du lundi au vendredi, de 8h à 18h. Un horaire atypique est un horaire qui est en dehors de cette période : travail de nuit, en week-end ou en dehors des heures ouvrables habituels.

Les enquêtes de l’INSEE et de Dares confirment que c’est une pratique contraignante qui obéit à une logique de secteurs professionnels et de métier. Les horaires atypiques concernent des salariés d’entreprises qui nécessitent une importante présence sur le lieu de travail afin d’assurer une continuité de service ou de production (infirmiers, aides-soignants, aides ménagers, agents d’entretiens, policiers, pompiers, chauffeurs, métiers de bouche, etc.).

Davantage de contrôles des horaires de la part de l’employeur, de journées morcelées, de sollicitations professionnelles en dehors des horaires de travail augmentent la nécessité de ces horaires atypiques et les salariés estiment souvent que leurs horaires sont peu compatibles avec leur vie personnelle.

 

Perturbation de l’horloge biologique 

Quand on parle de travail décalé, il s’agit essentiellement des horaires inverses au rythme biologique. Nous avons une horloge biologique qui représente l’ensemble des fonctions de notre corps ayant pour but d’ajuster les régulations des gènes des voies métaboliques en fonction des rythmes de vie (alimentation, sommeil, etc.).


Source : Fonds Français pour l’Alimentation et la Santé


Notre organisme, avec les horaires décalés, modifie sa génétique avec la résistance à l’insuline, qui est une hormone naturellement sécrétée par le pancréas. Elle permet au glucose (sucre) d'entrer dans les cellules du corps.

On observe également des conséquences environnementales importantes qui peuvent perturber l’horloge biologique : le déficit du sommeil, le travail de nuit, le travail posté, les horaires décalés, les écrans, le bruit, la lumière tardive, les horaires de repas décalé. Ces modifications ont toujours existé mais il semble qu’elles soient plus importantes qu’auparavant, du fait de l’évolution de l’organisation du travail.

 

Le jet lag social

Le jet lag du voyage est ponctuel, on se recale dans un lapse de temps et les conséquences sont temporaires. Le jet lag social, qui est l’inversion des rythmes, se manifeste par un décalage chronique entre l’heure de sommeil et les jours de travail ou les jours de repos. Cela provoque une irrégularité chronique.

Les rythmes externes (jour/nuit) vont se synchroniser avec notre rythme endogène (fonctionnement métabolique) ce qui va nous permettre de trouver une horloge biologique harmonieuse. Cependant, quand il y a des rythmes sociaux qui ne sont pas synchronisés avec les rythmes externes, on remarque un décalage de la phase.


Source : Fonds Français pour l’Alimentation et la Santé

 

Les effets sur la santé

Le premier trouble qui apparait chez les travailleurs en horaires atypiques est le trouble du sommeil. Les études rapportent que 50 % des travailleurs postés présentent des troubles du sommeil [4,5]. Les perturbations les plus rencontrées sont les difficultés d’endormissement, les perturbations du sommeil et le réveil précoce [2]. De plus, la qualité du sommeil est perturbée [3] du fait d’éveils répétés. Le travail à horaires atypiques est souvent associé à une diminution du temps total du sommeil [6] d’une durée moyenne de 2 heures par jour [1]. Ce raccourcissement de la durée de sommeil est responsable de la constitution d’une dette chronique de sommeil qui est génératrice de somnolence [2,6].

De plus, lorsqu’on a des horaires décalés, nous nous alimentons sur un rythme différent. Pour rester éveillé, on va manger davantage afin de lutter contre l’ennui ou le stress. On peut aussi manger de façon différente, avec par exemple un repas supplémentaire. Cela engendre un impact sur la quantité et la composition des repas et donc une modification de la balance énergétique.

Deux études montrent un impact métabolique au-delà de l’alimentation elle-même. Dans la première étude, il a été observé une augmentation de la masse grasse chez les sujets. Dans la seconde étude, un décalage de 3h30 a été appliqué à un groupe de femmes : des modifications métaboliques ont été observées : baisse de l’oxydation glucidique à jeun, baisse de la tolérance au glucose, etc.

Source : American Journal Clinical 2017, 106, 1213-19 et International Journal Obesity 2015, 39, 828-33

Des études ont montré une augmentation de l’IMC sur un suivi de 14 années chez les sujets qui sont en horaires décalés. Le travail de nuit des infirmières montre en général une prise de poids importante par rapport aux infirmières qui ne travaillent pas la nuit. Le travail posté est également associé de façon importante au risque du syndrome métabolique et le jet lag social semble être un prédicteur du gain d’IMC.

Source : Obesity 2008, 16, 1887 ; Scandinavian Journal Work Environ Health 2007, 33, 45 ; International Journal Obesity 1996, 25, 625 ; International Journal Epidemiol 2009, 38, 848

 

Les effets sur la vie sociale et familiale

A cause du travail en décalé, la vie sociale est limitée : on a des difficultés à organiser des rencontres amicales, à accéder aux activités sociales culturelles, sportives et associatives. De plus, le fonctionnement familial est déséquilibré, le temps de partage dans le couple est limité et la qualité relationnelle parents-enfants est impactée.

Il est important de rappeler que l’horaire atypique n’est pas un risque professionnel. Néanmoins, il peut être facteur de risque psychosocial et l’employeur se doit donc de protéger ses salariés.

 

Règlementation :

L'employeur est tenu par la loi de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés (article L. 4121-1 du Code du travail).

 

Le travail de nuit est défini et régi par le code du travail : Art L. 3122-1 à L. 3122-4.

Il correspond à tout travail effectué entre 21 heures et 6 heures.

Toute autre  période de nuit définie par convention ou accord collectif doit être au moins égale à 9 heures consécutives : il comprend l’intervalle entre minuit et 5 heures, commence au plus tôt à 21 heures et se termine au plus tard à 7 heures.

Le travail posté est non défini par le code du travail mais par une directive européenne de 2003 : Directive 2003/88/CE.

 

L’article L 3122-29 du Code du Travail stipule : « Tout travail entre 21 heures et 6 heures est considéré comme travail de nuit […] l’intervalle compris entre 24 heures et 5 heures peut être substituée à la période mentionnée au premier alinéa par une convention ou accord collectif de travail […] »

Pistes de solutions et de prévention 

·      Promouvoir la bonne alimentation en fonction de la saisonnalité et de l’activité physique : mettre à disposition dans des distributeurs automatiques ou dans la cantine d’entreprise une alimentation saine, travailler sur la mise en place d’activités physiques avant la prise de postes des travailleurs.

·      S’appuyer sur la médecine du travail afin de suivre l’état de santé des travailleurs et associés les salariés avec les représentants quand il y a un changement organisationnel de prévus pour prendre en compte les chronotypes.

·      Discuter de l’organisation à partir des recommandations de l’ANSES de 2016 et des recommandations de la haute autorité de santé (HAS) de 2012.

·      Dans certaines entreprises, bien que le sujet soit délicat à aborder, il est possible d’aménager des temps de repos. D’une durée de quelques minutes, la sieste flash est efficace. Cette sieste constitue un moment réparateur. Il y a également la micro-sieste, qui dure de 10 à 30 minutes. Cette durée, qui ne suffit pas pour entrer en sommeil profond, sert à augmenter la vigilance. Enfin, la sieste royale, d’une heure ou une heure et demie, sert à la récupération physique et à rattraper du sommeil en retard.

 

Définitions :

Le travail de nuit concerne le travail effectué entre 21 heures et 6 heures. En principe, la durée quotidienne du travail accomplie par un travailleur de nuit ne peut excéder 8 heures.

Le travail posté correspond à une organisation du travail dans laquelle plusieurs équipes se relaient successivement aux mêmes postes de travail, selon un roulement prédéfini. La forme la plus connue est le 3 x 8, c’est-à-dire 3 équipes différentes qui se relaient sur le même poste pendant 24 heures.

Les horaires atypiques comprennent tous les aménagements du temps de travail qui ne sont pas « standards », c’est-à-dire 5 jours réguliers par semaine du lundi au vendredi, horaire compris entre 5 heures du matin et 23 heures, avec 2 jours de repos hebdomadaires. Le travail de nuit et le travail posté font partie des horaires atypiques.

L’horloge biologique représente l’ensemble des mécanismes biochimiques et physiologiques qui permettent une activité rythmique de l’organisme. Différents paramètres, comme la température, la pression artérielle, la vigilance, le métabolisme varient en fonction de l’heure de la journée.

Les chronotypes se répartissent entre les :

- Couche-tôt (chronotype du matin) (coucher avant 23h, 22h, 21h)

- Couche-tard (chronotype du soir) (coucher après 23h, 00h, 1h, 2h)

- Intermédiaires (ni couche-tôt, ni couche-tard) (23h-7h)

L’œil ne sert pas qu’à voir : chez une personne aveugle, l’horloge circadienne est en libre-cours.

L’horloge circadienne : C’est un rythme qui est défini par l’alternance entre la veille, c'est-à-dire la période de la journée pendant laquelle on est éveillé et le sommeil, c'est-à-dire celle pendant laquelle on dort. Il est d’environ 24 heures et peut varier d’un individu à l’autre. Cette variation reste limitée à une ou deux heures. Le rythme circadien est très stable d’un individu à l’autre au cours des différentes périodes de sa vie. Le rythme circadien prend probablement son origine dans le cadre de la régulation de notre horloge interne.

Sources bibliographiques :

§  Enquêtes emploi de l’Insee, « en continu »

§  Enquêtes Conditions de Travail pilotées par la Dares, tous les 3 ans

§  INRS ED 6324

§  INRS ED 6325

§  INRS ED 6326

§  INRS ED 6327

§  INRS ED 6305

§  Article de revue TS 801

§  IRNS - Colloque Prévention des risques liés au travail de nuit

§  TRAVAIL EN HORAIRES ATYPIQUES : IMPACT SUR LA SANTE ET RECOMMANDATIONS N. HALOUANI, R. MASMOUDI, S. ELLOUZE, M.TURKI, J. ALOULOU, O. AMAMI

§  [1] Billiard M, Dauvilliers Y. Troubles du rythme circadien veille/sommeil. EMC-Neurologie. 2004; 1:246-53.

§  [2] Leger D. Horloge biologique, sommeil et conséquences médicales du travail posté. Arch. Mal. Prof. Env. 2009;70:246- 252

§  [3] Noël S. La morbidité du travail à horaires irréguliers. Santé. 2010 ; 51.

§  [4] Adam A, Courthiat MC, Vespignani H, Emser W, & Hannarth B. Effets des horaires de travail posté et de nuit sur la qualité du sommeil, la vigilance et la qualité de vie: Etude interrégionale franco-allemande. Arch. Mal. Prof. Env. 2007 ; 68 : 482-93.

§  [5] Debbabi F, Chatti S, Magroun I, Maalel O, Mahjoub H, & Mrizak N. Le travail de nuit: ses répercussions sur la santé du personnel hospitalier. Arch. Mal. Prof. Env. 2004 ; 65 : 489- 92.

§  [6] Ohayon MM, Smolensky MH, Roth T. Consequences of shiftworking on sleep duration, sleepiness, and sleep attacks. Chronobiol Int. 2010;27(3):575-89.




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