dimanche 1 novembre 2020

L’hyperconnexion : un nouveau risque ?

Myriam MARLIN

Le droit à la déconnexion a été, plus que jamais, mis à mal pendant les confinements successifs.

Une étude menée par l'association AXA Prévention souligne que les Français sont devenus accros aux écrans avec 4h22 en moyenne par jour. Il est donc nécessaire de pouvoir se déconnecter en dehors de ses horaires de travail pour éviter l’hyperconnexion dont nous sommes déjà victimes dans notre vie privée.

Mardi 17 mars 2020. Date du 1er confinement en France. Des millions de Français passent au télétravail et j’en fait partie. Après avoir été chercher mon matériel informatique au bureau, je m’installe confortablement dans mon canapé pour mon premier jour de télétravail.

Je rattrape beaucoup de retard que j’avais accumulé et décide même de m’avancer pour les jours à venir : pas de collègues = pas de discussions informelles = je suis plus productive.

J’allume la lumière, dis donc, la nuit tombe vite !

L’horloge affiche 23h30 et je me rends compte que j’ai travaillé beaucoup plus de temps que prévu, sans même m’en rendre compte…


En quoi le fait de ne pas se déconnecter de son travail est-il un risque pour la santé mentale ?


Qu’est-ce que le droit à la déconnexion ?

Déconnecter signifie « se séparer, se détacher d’un tout, supprimer les connexions » (Larousse).

Le droit à la déconnexion c’est « autoriser au salarié de ne plus être disponible pour son employeur en dehors de ses horaires de travail, et protéger son temps de repos » (Challenges).

Une déviance peut même découler du droit à la déconnexion :  Le cyberharcèlement. Il y a des pratiques dans les sociétés qui peuvent nous « forcer » à rester connecté à toute heure. « L’harceleur utilise les moyens de communication digitaux ou des réseaux sociaux pour perpétrer une série d'offensives personnelles » (Crise-Up).  Il faut donc se méfier des excès de contrôles de connexion à un réseau professionnel (tchat par exemple), de l’isolement (ne pas être dans la boucle d’un mail fait à toute une équipe), des sollicitations déplacées ou à heure excessive, etc.

 Que prévoit la loi ?

La loi Travail (El Khomri) de 2016 a entre autres comme objectif d'adapter le droit du travail à l'ère du digital. Le principe de droit à la déconnexion a été repris dans l'article 55 de la loi, qui se trouve dans le chapitre II intitulé "Adaptation du droit du travail à l'ère du numérique".

L 2242-8, 7° du code du travail :

« Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques ». (Legifrance)

La loi El Khomri ne prévoit pas de définition claire et précise du droit à la déconnexion, tout comme le Code du travail. C’est donc aux entreprises elles-mêmes d’en définir les modalités à travers une charte. Ceci explique les nombreuses dérives, les définitions de ce droit étant propres à chaque entreprise.

 Pourquoi est-il si difficile de rester déconnecté ?

A l’aire du numérique, du digital et de l’hyperconnexion, il est très difficile de rester déconnecté. Avec les applications mobiles, même si l’ordinateur est éteint, les mails et les tchats peuvent être affichés en plein milieu d’une conversation privée.

De plus, se fixer un horaire raisonnable, surtout en télétravail, est une obligation que peu de travailleurs respectent. En effet, de nombreux télétravailleurs déclarent travailler plus longtemps. L'une des raisons à cela est que la frontière entre vie professionnelle et vie familiale est mince dans ce type de travail. Il est également tentant de travailler à des heures irrégulières ou de rester éveillé tard pour terminer un projet et avoir le sentiment de prendre de l’avance.

 Quels sont les risques de l’hyperconnexion ?

L’hyperconnexion est un risque pouvant être classé dans les risques psychosociaux (RPS) à travers le document unique (DUERP). En effet, le fait d'être sans arrêt sollicité par son travail lors de ses heures de pause (après le travail, pendant le week-end ou les vacances) est une source de stress parfois négligée.

La réception constante de notifications provenant d’e-mails, messagerie instantanée et autres réseaux sociaux génèrent du stress car nous voulons y répondre rapidement.

L’e-mail facilite le burn-out car le sentiment de perdre pied peut très vite arriver, avec une boîte e-mail saturée. Le temps qui passe culpabilise, avec un sentiment d’urgence et de surcharge d’informations. Selon une étude effectuée par la société californienne Roambi en 2013 (créatrice d’une application qui transforme les données d'entreprise brutes en graphiques conçus pour les appareils mobiles), 89 % des cadres consultent leurs e-mails professionnels en dehors de leurs heures de travail.

« Le droit à la déconnexion doit permettre d'éviter l’épuisement professionnel » expose Sonia Moreau, avocate spécialiste du droit social. « La porosité entre vie professionnelle et vie personnelle est un terreau favorable au burn-out mais le salarié à un rôle à jouer. Il est même l’acteur principal : dans de nombreux dossiers, on s’aperçoit que quand bien même l’employeur a instauré un guide de bonne pratique sur la déconnexion, les salariés (cadres dans la grande majorité) n’arrivent pas à se déconnecter totalement ».

 Comment faire pour respecter ce temps de déconnexion ?

Il est parfois difficile de se déconnecter...

Des personnes dans mon entourage m’ont confié qu’elles ne pouvaient pas laisser une notification en attente sur leur téléphone. Certaines me font même la remarque lorsque, en pleine conversation, je reçois une notification : « Hey, tu as reçu un message ! » « Oui, je sais, mais je suis en train de discuter avec toi, là... ». Il est donc primordial, dans la vie professionnelle comme dans la vie privée, de respecter ce droit. 

1.    Il est important de définir un horaire de travail et de s'y tenir. Trouvez un horaire quotidien qui correspond à votre vie personnelle et vous donne suffisamment de temps pour passer une bonne nuit de sommeil. 

2.    Aménagez un lieu dédié au travail (bureau, chambre d’amis) qui n’empiète pas sur votre lieu de vie quotidienne. Se détacher du travail passe aussi par le cadre de vie.

3.     Établissez un planning des tâches journalières (voir la Matrice de Eisenhower) en réservant des plages horaires dans votre agenda. Manager-go.com

4.    Ne cédez pas à l’instantanéité de la messagerie : désactivez les notifications à partir d’une certaine heure est possible avec la fonction « ne pas déranger 

5.    Appelez vos collègues au lieu d’envoyer des e-mails ou des messages sur le tchat : en plus de vous sentir moins seul, vous pourrez renouer avec ces discussions informelles qui manquent tant en télétravail.

6.    Pensez à vous déconnecter des applications professionnelles en dehors des horaires ou des jours de travail pour ne pas être tenté de replonger dans le travail.

7.    Évitez d’envoyer des mails en dehors des horaires de travail : utilisez plutôt la fonction « envoi différé ».

8.    Paramétrez un message automatique quand vous êtes absent au travail avec le numéro des collègues à contacter en cas de besoin.

9.    Faites des pauses !

 Pour aller plus loin …

Carole Blancot, Guide du bon usage professionnel des outils numériques et de l’exercice du droit à la déconnexion (2018), Independently published

Cet outil précieux pour les ressources humaines comme pour les salariés vise à donner à chacun les règles du « savoir travailler ensemble en étant connectés ». Il combine des conseils de bonnes pratiques et des techniques pour réussir à se déconnecter.

Sources :

·         Total welllness ; Forum Doctissimo ; Caceis ; Journal du Net ; Challenges

·         Michaël Stora, Anne Ulpat, Hyperconnexion (2017), Larousse